Lorsqu’il est question de planification successorale, l’on pense naturellement aux donations. Mais que faire lorsqu’un couple possède un patrimoine sans avoir d’enfants ? Que faire si leurs enfants sont trop jeunes pour établir une planification successorale définitive ? Enfin, que faire si les parents eux-mêmes sont encore trop jeunes pour faire un don irrévocable aux enfants ?
Prenons la situation d’Anne et de Jean. Ils sont mariés et ont des enfants mineurs. Jean a vendu son entreprise à un bon prix et possède également une société patrimoniale. Dans le cas présent, le problème est que si Jean ne prend aucune disposition, le montant de la vente de son entreprise et les parts de sa société patrimoniale seront soumis à 18 % de droits de succession à son décès pour Bruxelles, et ce déjà à partir de 175 000 €, ou à 14% de droits de succession à son décès pour la Région wallonne, et ce déjà à partir de 150 000 €.
Planifier sa succession aujourd’hui ?
Face à la crainte de devoir payer des droits de succession élevés, il est donc judicieux de recourir à une planification successorale. De plus, cette précaution permettra également au conjoint moins fortuné, de conserver le même niveau de vie, même après un décès prématuré de Jean.
Donation entre époux
Les conjoints peuvent s’avantager mutuellement en transférant une partie de leurs biens propres à leur partenaire, techniquement en procédant de la même manière que s’ils donnaient à leurs enfants. Dans ce cas, la donation par virement bancaire et la donation par acte notarié sont toutes deux possibles. Non seulement cette manière de procéder présente un avantage fiscal substantiel, mais elle permet, et c’est au moins tout aussi important, de révoquer les donations à tout moment !
Qu’en est-il d’un point de vue fiscal ?
Par exemple, Jean peut faire don d’une partie du montant de la vente de son entreprise à sa femme.
Si Jean survit au moins pendant un certain délai après la donation, ce transfert sera totalement exonéré de droits de donation et de succession, ce qui représente une économie jusqu’à 30% pour Anne ! Ce délai est de 3 ans à Bruxelles et de 5 ans en Région wallonne. Il existe également la possibilité d’enregistrer les donations d’actifs mobiliers à un taux forfaitaire de 3 % à Bruxelles et de 3,3% en Région wallonne. Dans ce cas, les droits de succession sont immédiatement annulés, même si Jean venait à décéder dans les trois ans suivant la donation.
Et au niveau de la gestion et du contrôle ?
Bien entendu, la perspective de réaliser de telles économies ravit Jean, mais celui-ci veut garder le contrôle des fonds donnés.
Cette disposition peut se prendre en ne donnant que la nue-propriété. Cela permet non seulement de contrôler à vie les fonds donnés, mais aussi d’en percevoir les intérêts et les dividendes. Pour ce faire, il faut nécessairement établir un acte de donation notarié qui instaurera une réserve d’usufruit, chose impossible avec une donation bancaire. Cependant, l’inconvénient de la donation notariée est qu’elle est toujours soumise aux droits de donation de 3 % à Bruxelles ou de 3,3% en Région wallonne, et ce même si cet acte a été passé devant un notaire néerlandais. Dans ce cas, une solution alternative pour garder le contrôle sans avoir recours à un tel acte notarié (entraînant des droits de donation) serait de combiner la technique avec la constitution d’une société simple.
Mais qu’en est-il en cas de divorce ?
Le législateur a prévu un statut spécial pour les donations entre époux afin de protéger le donateur contre lui-même. On craignait que cette générosité soit suspecte et soit trop souvent motivée par un abus de confiance, un abus d’autorité, ou une pression de la part de l’autre conjoint. Le conjoint donateur a donc le droit de révoquer la donation à tout moment, par exemple en cas de divorce.
Jean pourrait ainsi révoquer sa donation à tout moment, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences, car l’on considérerait alors que la donation en question n’a jamais été effectuée. C’est aussi pourquoi nous recommandons la conservation de l’usufruit ou la constitution d’une société civile afin d’éviter ce genre de situation juridique délicate.
Que se passe-t-il si le donataire décède en premier ?
Supposons qu’Anne décède en premier, Jean paiera-t-il dès lors des droits de succession sur sa propre donation ? Sachez que la révocation offre une solution pour cette situation également. En effet, Jean aurait la possibilité de révoquer sa donation même après le décès d’Anne. Le montant de la donation serait alors réintégré dans le patrimoine de Jean, et en principe ce sans qu’il ait à payer des droits de succession !
Et à la majorité des enfants ?
Que faire une fois le moment venu d’établir une planification successorale pour les enfants ? Dans ce cas, Jean pourrait, comme nous l’avons déjà mentionné, révoquer la donation et ensuite concevoir une nouvelle planification de sa succession en faveur de ses enfants. Toutefois, un planificateur successoral averti lui conseillera une meilleure solution dans ce cas. En effet, supposons que ce soit plutôt Anne qui transmette le patrimoine concerné à leurs enfants. Étant donné que Jean peut annuler sa ou ses donations à tout moment, il s’ensuit que dès qu’il révoquera son don à Anne, le don d’Anne à leurs enfants sera également caduc.
En d’autres termes, cette dernière solution permet de rendre révocable une donation aux enfants en utilisant les techniques juridiques existantes, car, après tout, Jean ne sait pas à l’avance avec qui ses enfants vivront plus tard.
Une donation révocable entre époux est donc à considérer comme un moyen permettant de déposer temporairement une partie de votre patrimoine chez votre conjoint et de le protéger, et ce non seulement pour vos actifs bancaires, mais aussi pour vos œuvres d’art ou vos actions détenues au sein d’une société ou d’une entreprise familiale.
Les donations entre époux peuvent également avoir lieu dans le cadre d’un contrat de mariage, mais la donation est alors irrévocable. Il convient également de noter que la révocabilité des donations ne s’applique qu’entre personnes mariées et non entre cohabitants.
Article paru dans Voka Ondernemen