Pendant longtemps, ceux qui souhaitaient planifier leur succession de façon optimale n’avaient pas d’autre choix que de s’adresser à leur banquier privé ou à un gestionnaire patrimonial. Mais depuis plusieurs années, de plus en plus de cabinets d’avocats, consultants et notaires se lancent sur ce marché. Comment trouver son chemin dans ce labyrinthe?
« La planification patrimoniale ressemble à une partie de Mikado »
Les experts du monde financier évoquent déjà depuis plusieurs années, et cela avec une pointe de dramatisation, ce qu’ils appellent « The Great Wealth Transfer » . Avec l’âge de la retraite qui approche à grands pas, les entrepreneurs de la génération « baby-boom » (âgés entre 55 et 75 ans) , devront transférer, d’ici dix à vingt ans, leur patrimoine à la génération suivante. Selon les estimations de certaines banques, des milliers de milliards d’euros devraient se retrouver dans les mains des enfants et petits-enfants de ces entrepreneurs.
Les « baby-boomers » belges semblent néanmoins prendre leur temps pour planifier leur succession entrepreneuriale et réfléchir à la façon dont ils lègueront leur patrimoine privé après leur décès. Selon une récente enquête menée par le centre d’expertise Smart Organisations de la haute école UCLL et l’organisation patronale flamande VOKA, plus de la moitié des patrons d’entreprises familiales du pays âgés de plus de 60 ans reconnaissent n’avoir encore rien prévu pour leur succession.
Ceux qui ont décidé de se lancer ne doivent pourtant pas craindre de se retrouver seuls dans ce processus: le marché belge de l’Estate planning (planification successorale) semble même quelque peu encombré. On y trouve, certes, les banquiers privés et les gestionnaires patrimoniaux traditionnels mais aussi, depuis peu, des cabinets d’avocats, des consultants, des fiscalistes, des experts comptables , des notaires , ainsi que des conseillers financiers indépendants. Comment, dès lors, faut-il s’y prendre?
Commencez par le gros-oeuvre
« Vous devez considérer la planification patrimoniale comme le gros-oeuvre de l’édifice que vous souhaitez construire », explique Vincent Lambrecht, directeur Estate Planning auprès du gestionnaire patrimonial CapitalatWork. « Cela n’a aucun sens de rechercher les meilleurs rendements si vos héritiers doivent payer 27% de droits de succession après votre décès, cela parce que vous n’avez pas suffisamment réfléchi à ce qu’il adviendra de votre patrimoine une fois que vous ne serez plus là. »
Plus le patrimoine est important, plus sa structuration est complexe . « Vous pouvez comparer cette démarche avec une partie de Mikado », poursuit Vincent Lambrecht. « Lorsque vous déplacez un
bâtonnet, d’autres bougent. C’est souvent le cas avec les grands patrimoines: une donation ou une vente peut, par exemple, avoir un impact juridique sur une autre partie du portefeuille d’investissement. Un planificateur successoral doit être capable d’établir les bons liens et de conserver une vue d’ensemble de la situation pour les familles dont il s’occupe. »
« La plus-value de notre profession consiste en effet à être en mesure de cartographier la situation et de faire l’état des lieux du patrimoine familial de façon objective », ajoute Tillo Dumont, directeur Estate Planning auprès de la firme d’audit et de conseil KPMG en Belgique. « Nous remarquons souvent que les clients fonctionnent d’abord de façon très fragmentée. Ils consultent différents conseillers pour leur entreprise mais s’adressent à leur notaire pour leur patrimoine privé. Pour d’autres questions, ils demandent conseil à leur comptable, voire au directeur financier de leur entreprise. Au fil du temps, le patrimoine familial apparaît comme trop peu structuré. Dans d’autres cas, des décisions prises dans le passé rendent certains choix futurs plus compliqués. »
« De nombreux clients se concentrent en priorité sur leur entreprise », poursuit Tillo Dumont. « La structuration de leur patrimoine privé arrive en seconde place. Souvent, ils ne se lancent que lorsque quelque chose se passe dans leur entourage direct, comme le décès inopiné ou le divorce d’un ami entrepreneur. »
Professionnalisation forcée
C’est avec ce phénomène de « Great Wealth Transfer » à l’esprit que de nombreuses entreprises se sont lancées, ces dernières années, sur le marché de la planification patrimoniale et du conseil aux
familles et entreprises familiales. Mais ce n’est pas donné à tout le monde, estime Johan Adriaens, lui-même Estate Planner depuis de longues années au sein de son propore bureau, Adriaens & Partners.
Selon lui, la planification patrimoniale concerne de plus en plus les grands bureaux ou les acteurs de taille moyenne, qui s’adressent à des niches très spécifiques. « Cela s’explique surtout par la complexité croissante des règlementations », explique Johan Adriaens. « Les Estate planners doivent tenir compte des décisions prises par le gouvernement régional. Mais quid si votre client possède une société en Flandre, mais réside en Région bruxelloise ou en Wallonie? Chaque Région dispose de sa propre règlementation fiscale. Un cabinet comptable qui compte 40 ou 50 employés ne peut se permettre de consacrer une personne à temps plein à ces règlementations. En outre, le recrutement de personnel spécialisé coûte très cher. »
Tillo Dumont parle quant à lui d’une « professionnalisation forcée » du métier de planificateur patrimonial. « Le transfert ou la structuration d’une entreprise ou d’un patrimoine familial sur base de l’intuition est en train de disparaître. Les règlementations sont devenues tellement spécifiques au niveau national et international que vous devez vous faire aider par des spécialistes. Prenons l’exemple d’un entrepreneur qui souhaite déménager son entreprise néerlandaise en Belgique. Une partie des informations sur cette transaction devra être transmise au fisc, qui les centralisera dans une banque de données européenne. De nombreux patrons de PME ont un profil international, ont des enfants qui vivent à l’étranger ou encore, possèdent de l’immobilier dans un autre pays. En cas de transfert du patrimoine, il faudra tenir compte des lois internationales. Il y a de fortes chances pour qu’un banquier ou un notaire ne soit pas au courant et qu’il s’adresse à des spécialistes pour conseiller ses clients. »
Les clients eux-mêmes ne sont pas forcément enclins à s’adresser à ces différents spécialistes, constate Vincent Lambrecht de CapitalatWork. « Cela reste très personnel. Les clients doivent avoir une confiance totale avant de dévoiler l’ensemble de leur patrimoine et de leur situation familiale. Ils n’ont pour la plupart pas envie de partager ces informations avec d’autres personnes. Mais plus le patrimoine est important, plus sa structuration est complexe et plus, vous avez besoin de faire appel à divers spécialistes. C’est la tâche de l’Estate planner de répartir les rôles: « Vous avez besoin d’un notaire pour ceci et d’un avocat pour cela. »
Le paradoxe de l’ascenseur
Même si de nombreux entrepreneurs songent à organiser le transfert de leur entreprise et de leur patrimoine, les planificateurs patrimoniaux constatent un changement de génération progressif
parmi leurs clients. « Les gens commencent relativement tôt à penser à leur succession » , poursuit Vincent Lambrecht. « La crise du coronavirus leur a fait prendre conscience du fait que nul n’était à l’abri en cas de catastrophe. »
« Auparavant, j’étais parfois gêné de ne pas avoir d’ascenseur lorsque des clients âgés devaient monter l’escalier pour se rendre dans mon bureau », se souvient Johan Adriaens, en riant. « Aujourd’hui, les clients se posent de plus en plus tôt la question de savoir ce qu’il adviendra de leur patrimoine après leur décès: avec une assurance ‘décès soudain’ et d’éventuelles modifications du contrat de mariage, les jeunes entrepreneurs peuvent résoudre ce problème – du moins temporairement – pour 4.000 ou 5.000 euros. En cas de divorce, les clients pensent souvent à planifier leur succession. Je rencontre parfois de jeunes entrepreneurs de 35 à 40 ans qui viennent me voir avec leur enfant mineur pour mettre en place une structure afin d’éviter qu’en cas de décès,
l’ex-épouse – la mère de l’enfant – obtienne tous les droits de vote liés aux actions de l’entreprise. »
« Finalement, la planification patrimoniale reste encore un processus qui doit être initié par le pater ou la mater familias », ajoute Tillo Dumont. « Mais le processus n’est plus nécessairement ‘top-down’. L’époque où les enfants devaient uniquement signer est révolue. La jeune génération est plus directe et tous les sujets peuvent être mis sur la table. Il vaut donc mieux aboutir à une solution qui convient à tout le monde. J’ai déjà constaté que certains enfants ne voulaient pas collaborer s’ils avaient le sentiment de se voir imposer certaines choses. Le risque existe alors que le cédant décide de tout reporter. Alors qu’avec une communication claire, de la transparence et du temps, on trouve généralement les meilleures solutions. »
Article de presse paru dans De Tijd et L’Echo, 05/11/2023
En collaboration avec des spécialistes externes, nous sommes heureux de contribuer à votre planification patrimoniale, également pour la prochaine génération.